Case number | CAC-ADREU-007333 |
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Time of filing | 2016-12-26 13:13:32 |
Domain names | labelrungis.eu, label-rungis.eu |
Case administrator
Aneta Jelenová (Case admin) |
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Complainant
Organization | Région Grand Est ( ) |
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Respondent
Name | Romain Tournier |
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Autres procédures juridiques
Il n'a pas été porté à la connaissance du Tribunal d'autre procédure judiciaire relative aux noms de domaine litigieux qui aurait été jugée ou serait toujours en cours.
Situation de fait
La Requête et la Réponse sont toutes deux proches de la limite maximale de 5000 mots fixée par l’article B.11 des Règles complémentaires ADR du Tribunal d´Arbitrage auprès de la Chambre Economique de la République tchèque et de la Chambre Agraire de la République tchèque. Tenu par cette même disposition de rendre une décision ne dépassant pas ce plafond, le Tribunal ne peut reproduire ici les écritures initiales pas plus que les observations complémentaires soumises par chacune des parties. Leurs prétentions seront donc résumées, ce qui est regrettable car cela ne permettra pas aux tiers de mesurer la complexité des faits et de l’affaire. Pour les mêmes raisons la décision ne reflètera pas les communications atypiques qui sont intervenues au cours de la procédure et ont conduit à une extension du délai dans lequel le Tribunal a étudié l’affaire.
A. Partie Requérante
La Requérante affirme que l’enregistrement des noms de domaine LABELRUNGIS.EU et LABEL-RUNGIS.EU est abusif pour les raisons suivantes :
- ces noms sont susceptibles d’être confondus avec les marques françaises RUNGIS MARCHE INTERNATIONAL n° 1 601 685 et n° 1 587 180 et LA QUALITE PASSE PAR RUNGIS n° 3 345 724 sur lesquels le requérant détient des droits reconnus et établis par le droit national et communautaire conformément à l’article 10.1 du Règlement (CE) 874/2004 ;
- ces noms de domaine ont été enregistrés sans que leur titulaire ait un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ces noms ;
- ces noms de domaine ont été enregistrés de mauvaise foi.
- ces noms sont susceptibles d’être confondus avec les marques françaises RUNGIS MARCHE INTERNATIONAL n° 1 601 685 et n° 1 587 180 et LA QUALITE PASSE PAR RUNGIS n° 3 345 724 sur lesquels le requérant détient des droits reconnus et établis par le droit national et communautaire conformément à l’article 10.1 du Règlement (CE) 874/2004 ;
- ces noms de domaine ont été enregistrés sans que leur titulaire ait un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ces noms ;
- ces noms de domaine ont été enregistrés de mauvaise foi.
B. Partie Défendante
Selon le Défendeur la Requérante ne peut se prévaloir d’une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle ni d’un monopole sur le nom de la commune de Rungis sur lequel est situé le marché d’intérêt national. Il soutient qu’il a agi de bonne foi en enregistrant et utilisant les noms de domaine LABELRUNGIS.EU et LABEL-RUNGIS.EU pour lesquels il dispose d’un droit et d’un intérêt légitime en raison de sa dénomination sociale, du lieu de son activité ou de son lien commercial avec le marché d’intérêt national de Rungis.
Débats et constatations
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A quoi sert la procédure extrajudiciaire prévue par le Règlement (CE) 874/2004 du 28 avril 2004 qui sous-tend le présent contentieux ? Cette procédure est destinée à « éviter autant que possible les enregistrements spéculatifs et abusifs » (considérant 16) ou à sanctionner de tels enregistrements spéculatifs ou abusifs (article 22.1.a). En d’autres termes cette procédure a été instituée à des fins préventives et curatives et a pour objet le seul enregistrement. Elle n’a pas pour fonction de punir en tant que telle l’utilisation d’un nom de domaine.
En application du Règlement l’enregistrement d'un nom de domaine est considéré comme spéculatif ou abusif lorsque :
(1) son titulaire n’a pas de droit à faire valoir sur le nom (première hypothèse de l’article 21.1.a) ;
(2) son titulaire n’a pas d’intérêt légitime à faire valoir sur ce nom (seconde hypothèse de l’article 21.1.a) ;
(3) le nom a été enregistré de mauvaise foi (première hypothèse de l’article 21.1.b) ;
(4) le nom a été utilisé de mauvaise foi (seconde hypothèse de l’article 21.1.b).
Dans les deux premiers cas c’est au regard de la personne qui a procédé à l’enregistrement que s’apprécie le droit ou l’intérêt légitime, et d’elle seule. La lettre du texte impose cette interprétation.
C’est en revanche l’esprit du texte qui conduit à apprécier, dans le troisième cas, la mauvaise foi lors de l’enregistrement en considération du titulaire, l’enregistrement ayant par hypothèse été effectué par ce dernier.
Le quatrième et dernier cas traite de l’utilisation de mauvaise foi. Cette utilisation doit-elle nécessairement être le fait du titulaire ou peut-elle être le fait d’un tiers ? L’examen des deux possibles interprétations est nécessaire à la résolution du présent litige.
(4.1) Le Règlement ayant prévu une procédure extrajudiciaire relative aux « enregistrements » spéculatifs ou abusifs, il imposerait à la commission de règlement et aux experts visés à l’article 23 de ne connaître que des enregistrements de noms de domaine et de leur utilisation par le titulaire, ce qui circonscrirait leur compétence et leur interdirait de sanctionner l’utilisation par un tiers qui n’est pas partie à la procédure.
(4.2) Le Règlement permettrait la révocation d’un nom de domaine utilisé de mauvaise foi, quelle que soit la personne à qui imputer cette utilisation, quand bien même cette personne ne serait pas dans la cause. Il faudrait alors comprendre l’article 21.1.b comme obligeant implicitement le titulaire à s’assurer que la tierce personne qu’il laisse utiliser le nom qu’il a enregistré le fait dans le respect de cet article, et donc pas de mauvaise foi.
L’analyse des situations dans lesquelles la mauvaise foi peut être retenue en application de l’article 21.3 amène toutefois à douter de cette dernière interprétation de l’article 21.1.b. Sur les cinq situations envisagées par l’article 21.3 – dont le Tribunal rappelle qu’il établit une liste fermée et exhaustive de cas de mauvaise foi (V. sur ce point la décision ADR.eu 6889 du 28 mars 2015, cma-systems.eu) – quatre renvoient en effet clairement au titulaire, lequel ne doit pas avoir :
- enregistré ou acquis principalement pour empêcher un tiers ayant un droit sur le même signe d’obtenir ce nom (article 21.3.a) ;
- enregistré ou acquis principalement pour empêcher un tiers ayant un droit sur le même signe d’exercer ce droit en ligne (article 21.3.b) ;
- « enregistré dans le but essentiel de perturber les activités professionnelles d'un concurrent » (article 21.3.c) ;
- enregistré « un nom de personne pour lequel aucun lien ne peut être démontré entre le titulaire du
nom de domaine et le nom de domaine enregistré » (article 21.3.e).
Dans le cas de la cinquième et dernière situation (article 21.3.d), ce n’est pas comme dans les précédentes l’enregistrement qui est visé – et donc le comportement du titulaire qui est à analyser – mais l’utilisation. Il convient d’observer toutefois que l’utilisation dont il est question est, exclusivement, celle destinée à « attirer, à des fins lucratives, des utilisateurs de l’internet vers le site internet ou un autre espace en ligne du titulaire du nom de domaine ». C’est donc dans la personne de ce dernier, à la condition qu’il profite de l’utilisation d’un nom comme d’un appât, que s’apprécie la mauvaise foi : le titulaire est l’auteur de l’enregistrement et le bénéficiaire ultime et unique de l’utilisation. L’article 21.3.d étant silencieux sur la personne de qui cette utilisation intermédiaire est le fait, il est possible de comprendre que l’utilisation prévue par ce texte peut être le fait du titulaire lui-même ou d’un tiers.
Cette interprétation conditionne par ricochet la compréhension qu’il faut avoir de l’article 21.1.b et donc du quatrième cas visé plus haut. La réponse à la question « l’utilisation de mauvaise foi doit-elle nécessairement être le fait d’un titulaire ou peut-elle être le fait d’un tiers » doit donc s’énoncer ainsi : l’utilisation de mauvaise foi d’un nom s’apprécie toujours en la personne de son titulaire sauf dans le cas particulier où un tiers utilise ce nom pour en faire bénéficier ce titulaire dans les conditions de l’article 21.3.d.
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C’est à la lumière de cette interprétation qu’il convient d’analyser le présent contentieux. Le Tribunal a en effet été conduit à s’interroger sur le sens exact du texte et ses limites au regard des spécificités de l’espèce. En effet, dans leurs multiples documents, qu’il s’agisse tant des Requête et Réponse initiales que des Observations complémentaires ou des pièces soumises, la Requérante comme le Défendeur évoquent tantôt la personne qui a procédé l’enregistrement des noms litigieux et tantôt celle qui les utilise. C’est pourquoi le Tribunal a été amené à résoudre à titre préliminaire la question de savoir en la personne de qui apprécier si les conditions de l’article 21 sont réunies.
Voici quelques extraits des écritures et des pièces qui illustrent l’absence de clarté quant à la personne à l’égard de laquelle l’argumentation est menée.
La Requérante a choisi de poursuivre Monsieur Romain Tournier dont elle allègue qu’il « ne peut faire valoir aucun droit sur le terme « RUNGIS » », mais le fait en rappelant aussitôt que la société LabelRungis « a d’ores et déjà tenté de déposer la marque « LABELRUNGIS.COM la traçabilité d’un service de qualité » » et que « cette marque a été refusée par l’INPI parce qu’elle constituait l’imitation des marques du Requérant ». La Requérante mêle donc des faits de la personne physique Romain Tournier et d’autres de la personne morale LabelRungis.
Pareillement, la Requérante traite ensemble ces deux personnes quand elle affirme que « ni le titulaire, ni la société Labelrungis ne disposent de l’autorisation d’utiliser le terme « label » », ce dans son argumentation relative à l’autre élément composant les noms de domaine litigieux.
Cette confusion entre les deux personnes se poursuit dans ses développements relatifs à l’absence d’intérêt légitime, en ces termes : « le titulaire des noms de domaine, qui n’est pas un professionnel exerçant sur le marché d’intérêt national de Rungis, ne dispose d’aucun droit, ni intérêt légitime sur le signe « RUNGIS » associé, par 80% de la population à l’activité du requérant. De même, la société LabelRungis visée sur les pages accessibles n’a pas davantage d’intérêt légitime ». Il est important de relever que ces développements portent d’ailleurs essentiellement sur l’absence d’intérêt légitime de la société, trois lignes seulement étant consacrées à l’absence d’intérêt du titulaire personne physique.
S’agissant de la mauvaise foi, la Requérante s’appuie sur des mises en demeure (annexes 37 et 39) qui ont été adressées tant au titulaire du nom de domaine Romain Tournier qu’à la société LabelRungis.
Dans ses observations complémentaires relatives à l’absence de respect du règlement intérieur du Marché International de Rungis (lequel énonce des règles relatives à l’utilisation de la dénomination, la marque, le logo ou le sigle « Rungis Marché International »), la Requérante indique que ni Monsieur Tournier ni la société Labelrungis ne pouvaient en ignorer les dispositions et qu’elles leur sont applicables à tous deux. Après demande de clarification du Tribunal auprès des parties, il est apparu que seule la société LabelRungis est tenue par ce règlement.
Dans ces mêmes observations complémentaires la Requérante parle des noms de domaine litigieux comme étant « enregistrés au nom de Monsieur Romain Tournier, « labelrungis.eu » et « label-rungis.eu » et exploités par la société Labelrungis qui exerce une activité de grossiste alimentaire ».
De son côté le Défendeur indique dès l’introduction de sa Réponse que c’est en sa qualité de co-gérant de la société LabelRungis qu’il a réservé les noms de domaine litigieux. Il contribue ainsi à entretenir le quiproquo.
De la même manière son argumentation relative à l’usage des signes composant est menée en s’appuyant sur l’activité de la société LabelRungis et en tenant compte de la clientèle de cette dernière.
Ces allers-retours entre droits tenant à la personne du titulaire et droits tenant à la personne de la société LabelRungis sont fréquents dans la Réponse. Ainsi :
- le titulaire soutient qu’il a « un intérêt légitime à enregistrer les divers noms de domaine contestés dans la présente procédure et à les utiliser aux fins de communiquer sur les activités et les services proposés par la société Labelrungis » ;
- il se prévaut d’une carte d’acheteur professionnel délivrée par le Requérant, dont est en réalité titulaire la société LabelRungis ;
- s’agissant des « produits distribués par la société Labelrungis », dont il affirme qu’ils « sont sélectionnés et achetés au sein du marché d’intérêt national de Rungis », le titulaire en parle comme de « produits que le défendeur propose à sa clientèle ».
Ailleurs dans la réponse le Défendeur écrit : « ni le défendeur, ni la société Labelrungis n’ont jamais prétendu que les produits qu’ils commercialisent » etc.
Plus loin, pour soutenir qu’il est de bonne foi : « Le défendeur en tant que co-gérant de la société Labelrungis, dont le siège social se situe sur la commune de Rungis et dont l’activité consiste en la distribution de produits agroalimentaires acquis en qualité d’acheteur professionnel du marché d’intérêt national de Rungis, a indéniablement enregistré et utilise de bonne foi les noms de domaine concernés par la présente plainte ».
On retrouve cette même porosité entre les faits qui relèvent du titulaire et ceux attribués à l’utilisateur dans les Observations complémentaires soumises par le Défendeur.
C’est en raison de la confusion systématiquement entretenue par les parties, qui évoquent tour à tour Monsieur Tournier et la société LabelRungis, et font régulièrement référence à l’utilisation des noms litigieux par cette dernière, que le Tribunal a soulevé la question préliminaire. La résolution du présent litige nécessite en effet de savoir s’il est juridiquement possible, dans le cadre strict de la procédure extrajudiciaire, de tenir compte de l’utilisation de noms litigieux par un tiers au procès. Les parties ne s’étant pas entendues sur le fait que la société LabelRungis, tierce à la procédure, serait le titulaire effectif des noms de domaine litigieux, le Tribunal n’a pas été en mesure de clarifier ce point (comme cela a pu être fait dans d’autres espèces, V. par exemple ADR.eu 7095 du 20 janvier 2016, HMCLAUSE.EU).
Se posent donc au Tribunal quatre questions alternatives, qui reprennent les cas de figure évoqués et interprétés plus haut :
(1) Monsieur Tournier a-t-il un droit à faire valoir sur les noms de domaine ?
(2) Monsieur Tournier a-t-il un intérêt légitime à faire valoir sur les noms de domaine ?
(3) Monsieur Tournier a-t-il enregistré de mauvaise foi les noms de domaine ?
(4) Monsieur Tournier bénéficie-t-il de l’utilisation intentionnelle des noms de domaine pour attirer, à des fins lucratives, des utilisateurs de l'internet vers son site internet ou un autre espace en ligne qui lui est propre ?
Les trois premières questions peuvent être traitées ensemble.
Il n’est pas sérieusement contesté que M. Tournier est le co-gérant de la SARL LabelRungis (tout au plus la Requérante se limite-t-elle à observer, dans une réponse à une communication atypique du Tribunal et non dans sa Requête initiale ou ses Observations complémentaires, que « le nom de Mr Romain Tournier, Défendeur à la présente procédure ADR, n’apparaît [pas] sur le dossier de demande de carte d’acheteur » que lui avait soumis la société LabelRungis). Celle-ci a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 13 mai 2014 (les statuts ayant été signés par les deux associés fondateurs le 22 avril 2014).
Les noms de domaine litigieux ont été enregistrés le 18 mars 2014, soit environ deux mois avant cette date.
Il n’est pas anormal, et bien au contraire il est même nécessaire d’enregistrer un nom de domaine correspondant à la dénomination d’une société à créer ou en formation afin d’empêcher qu’un tiers bien intentionné ne choisisse ce même nom fortuitement ou qu’un autre mal intentionné ne procède à un acte de cybersquatting (sur ce point, V. par exemple C. Manara, Opérations contractuelles sur noms de domaine, La Semaine Juridique, édition Entreprise et Affaires, n° 16, 18 avril 2002). La fameuse règle du « premier arrivé, premier servi » légitime une telle réservation par précaution.
Ayant enregistré le nom pour la sauvegarde des intérêts de la société LabelRungis, Romain Tournier ne peut être considéré comme dépourvu de droit ou d’intérêt légitime ou comme ayant agi de mauvaise foi. Il n’a pas procédé à un enregistrement abusif ou spéculatif des noms de domaine litigieux au sens du Règlement 874/2004.
Monsieur Tournier bénéficie-t-il de l’utilisation intentionnelle des noms de domaine pour attirer, à des fins lucratives, des utilisateurs de l’internet vers son site internet ou un autre espace en ligne qui lui est propre ?
En d’autres termes, la question se pose de savoir si les conditions de l’article 21.3.d sont remplies. Cet article dispose que la mauvaise foi peut être démontrée quand « le nom de domaine a été utilisé intentionnellement pour attirer, à des fins lucratives, des utilisateurs de l’internet vers le site internet ou un autre espace en ligne du titulaire du nom de domaine, en créant une confusion avec un nom sur lequel un droit est reconnu ou établi par le droit national et/ ou communautaire ou un nom d’organisme public, cette probabilité de confusion concernant la source, le sponsoring, l’affiliation ou l’approbation du site internet ou de l’autre espace en ligne du preneur ou d'un produit ou service qui y est proposé ». On ne peut qu’observer que la portée de cet article est très limitée.
Par une pratique constatée par huissier le 1er septembre 2016 et dont il n’est pas contesté qu’elle subsistait à la date de la soumission de la Requête, « la page accessible à partir des noms de domaine litigieux invite (…) à cliquer sur un lien renvoyant vers une page Facebook ». Cette page, toujours selon la description qu’en fait la Réquérante, « multiplie les reproductions de « Label Rungis » et « marché de Rungis » pour commercialiser des produits alimentaires identiques à ceux visés par les marques du Requérant », ce qui n’est pas disputé par le Défendeur. La Requérante soutient que ce renvoi du nom de domaine vers la page Facebook crée un risque de confusion.
L’article 21.3.d pose diverses conditions cumulatives dont il convient de vérifier si elles sont remplies.
Le nom de domaine a-t-il été utilisé intentionnellement pour attirer des internautes vers un autre site ou espace en ligne ? Oui.
Est-il utilisé pour attirer ces personnes vers ce lieu à des fins lucratives ? Oui.
Le site internet ou l’espace en ligne en question est-il celui du titulaire du nom de domaine ? Non, ressort-il des constats (pièces 38 et 40) et des mises en demeure (pièces 37 et 39).
Cette condition n’étant pas remplie, dans le sens strict du Règlement 874/2004 il n’est pas possible de conclure que les noms LaBELRUNGIS.EU et LABEL-RUNGIS.EU ont été utilisés de mauvaise foi.
Il n’est donc point besoin d’évoquer la première condition de l’article 21 relative à la similitude des signes de la Requérante et du Défendeur. Le Tribunal exprime toutefois des doutes quant à l’existence d’un risque de confusion entre les marques dont se prévaut la Requérante et les noms de domaine objets du litige.
Au surplus, le litige semble de nature commerciale plus que liée au signe lui-même. Nombre des éléments apparus, en particulier dans les observations complémentaires respectives, sortent de la compétence du Tribunal. Ainsi la Requérante reproche au Défendeur des pratiques commerciales déloyales, se prévaut du Code Rural, allègue que l’utilisation des noms est une activité parasitaire, ce qui relève exclusivement de l’appréciation d’une juridiction nationale. Il n’appartient pas au Tribunal de trancher un litige principalement commercial qui échappe à sa compétence (V. ADR.eu n° 6470 du 7 juin 2013, INFOSUP.EU).
A quoi sert la procédure extrajudiciaire prévue par le Règlement (CE) 874/2004 du 28 avril 2004 qui sous-tend le présent contentieux ? Cette procédure est destinée à « éviter autant que possible les enregistrements spéculatifs et abusifs » (considérant 16) ou à sanctionner de tels enregistrements spéculatifs ou abusifs (article 22.1.a). En d’autres termes cette procédure a été instituée à des fins préventives et curatives et a pour objet le seul enregistrement. Elle n’a pas pour fonction de punir en tant que telle l’utilisation d’un nom de domaine.
En application du Règlement l’enregistrement d'un nom de domaine est considéré comme spéculatif ou abusif lorsque :
(1) son titulaire n’a pas de droit à faire valoir sur le nom (première hypothèse de l’article 21.1.a) ;
(2) son titulaire n’a pas d’intérêt légitime à faire valoir sur ce nom (seconde hypothèse de l’article 21.1.a) ;
(3) le nom a été enregistré de mauvaise foi (première hypothèse de l’article 21.1.b) ;
(4) le nom a été utilisé de mauvaise foi (seconde hypothèse de l’article 21.1.b).
Dans les deux premiers cas c’est au regard de la personne qui a procédé à l’enregistrement que s’apprécie le droit ou l’intérêt légitime, et d’elle seule. La lettre du texte impose cette interprétation.
C’est en revanche l’esprit du texte qui conduit à apprécier, dans le troisième cas, la mauvaise foi lors de l’enregistrement en considération du titulaire, l’enregistrement ayant par hypothèse été effectué par ce dernier.
Le quatrième et dernier cas traite de l’utilisation de mauvaise foi. Cette utilisation doit-elle nécessairement être le fait du titulaire ou peut-elle être le fait d’un tiers ? L’examen des deux possibles interprétations est nécessaire à la résolution du présent litige.
(4.1) Le Règlement ayant prévu une procédure extrajudiciaire relative aux « enregistrements » spéculatifs ou abusifs, il imposerait à la commission de règlement et aux experts visés à l’article 23 de ne connaître que des enregistrements de noms de domaine et de leur utilisation par le titulaire, ce qui circonscrirait leur compétence et leur interdirait de sanctionner l’utilisation par un tiers qui n’est pas partie à la procédure.
(4.2) Le Règlement permettrait la révocation d’un nom de domaine utilisé de mauvaise foi, quelle que soit la personne à qui imputer cette utilisation, quand bien même cette personne ne serait pas dans la cause. Il faudrait alors comprendre l’article 21.1.b comme obligeant implicitement le titulaire à s’assurer que la tierce personne qu’il laisse utiliser le nom qu’il a enregistré le fait dans le respect de cet article, et donc pas de mauvaise foi.
L’analyse des situations dans lesquelles la mauvaise foi peut être retenue en application de l’article 21.3 amène toutefois à douter de cette dernière interprétation de l’article 21.1.b. Sur les cinq situations envisagées par l’article 21.3 – dont le Tribunal rappelle qu’il établit une liste fermée et exhaustive de cas de mauvaise foi (V. sur ce point la décision ADR.eu 6889 du 28 mars 2015, cma-systems.eu) – quatre renvoient en effet clairement au titulaire, lequel ne doit pas avoir :
- enregistré ou acquis principalement pour empêcher un tiers ayant un droit sur le même signe d’obtenir ce nom (article 21.3.a) ;
- enregistré ou acquis principalement pour empêcher un tiers ayant un droit sur le même signe d’exercer ce droit en ligne (article 21.3.b) ;
- « enregistré dans le but essentiel de perturber les activités professionnelles d'un concurrent » (article 21.3.c) ;
- enregistré « un nom de personne pour lequel aucun lien ne peut être démontré entre le titulaire du
nom de domaine et le nom de domaine enregistré » (article 21.3.e).
Dans le cas de la cinquième et dernière situation (article 21.3.d), ce n’est pas comme dans les précédentes l’enregistrement qui est visé – et donc le comportement du titulaire qui est à analyser – mais l’utilisation. Il convient d’observer toutefois que l’utilisation dont il est question est, exclusivement, celle destinée à « attirer, à des fins lucratives, des utilisateurs de l’internet vers le site internet ou un autre espace en ligne du titulaire du nom de domaine ». C’est donc dans la personne de ce dernier, à la condition qu’il profite de l’utilisation d’un nom comme d’un appât, que s’apprécie la mauvaise foi : le titulaire est l’auteur de l’enregistrement et le bénéficiaire ultime et unique de l’utilisation. L’article 21.3.d étant silencieux sur la personne de qui cette utilisation intermédiaire est le fait, il est possible de comprendre que l’utilisation prévue par ce texte peut être le fait du titulaire lui-même ou d’un tiers.
Cette interprétation conditionne par ricochet la compréhension qu’il faut avoir de l’article 21.1.b et donc du quatrième cas visé plus haut. La réponse à la question « l’utilisation de mauvaise foi doit-elle nécessairement être le fait d’un titulaire ou peut-elle être le fait d’un tiers » doit donc s’énoncer ainsi : l’utilisation de mauvaise foi d’un nom s’apprécie toujours en la personne de son titulaire sauf dans le cas particulier où un tiers utilise ce nom pour en faire bénéficier ce titulaire dans les conditions de l’article 21.3.d.
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C’est à la lumière de cette interprétation qu’il convient d’analyser le présent contentieux. Le Tribunal a en effet été conduit à s’interroger sur le sens exact du texte et ses limites au regard des spécificités de l’espèce. En effet, dans leurs multiples documents, qu’il s’agisse tant des Requête et Réponse initiales que des Observations complémentaires ou des pièces soumises, la Requérante comme le Défendeur évoquent tantôt la personne qui a procédé l’enregistrement des noms litigieux et tantôt celle qui les utilise. C’est pourquoi le Tribunal a été amené à résoudre à titre préliminaire la question de savoir en la personne de qui apprécier si les conditions de l’article 21 sont réunies.
Voici quelques extraits des écritures et des pièces qui illustrent l’absence de clarté quant à la personne à l’égard de laquelle l’argumentation est menée.
La Requérante a choisi de poursuivre Monsieur Romain Tournier dont elle allègue qu’il « ne peut faire valoir aucun droit sur le terme « RUNGIS » », mais le fait en rappelant aussitôt que la société LabelRungis « a d’ores et déjà tenté de déposer la marque « LABELRUNGIS.COM la traçabilité d’un service de qualité » » et que « cette marque a été refusée par l’INPI parce qu’elle constituait l’imitation des marques du Requérant ». La Requérante mêle donc des faits de la personne physique Romain Tournier et d’autres de la personne morale LabelRungis.
Pareillement, la Requérante traite ensemble ces deux personnes quand elle affirme que « ni le titulaire, ni la société Labelrungis ne disposent de l’autorisation d’utiliser le terme « label » », ce dans son argumentation relative à l’autre élément composant les noms de domaine litigieux.
Cette confusion entre les deux personnes se poursuit dans ses développements relatifs à l’absence d’intérêt légitime, en ces termes : « le titulaire des noms de domaine, qui n’est pas un professionnel exerçant sur le marché d’intérêt national de Rungis, ne dispose d’aucun droit, ni intérêt légitime sur le signe « RUNGIS » associé, par 80% de la population à l’activité du requérant. De même, la société LabelRungis visée sur les pages accessibles n’a pas davantage d’intérêt légitime ». Il est important de relever que ces développements portent d’ailleurs essentiellement sur l’absence d’intérêt légitime de la société, trois lignes seulement étant consacrées à l’absence d’intérêt du titulaire personne physique.
S’agissant de la mauvaise foi, la Requérante s’appuie sur des mises en demeure (annexes 37 et 39) qui ont été adressées tant au titulaire du nom de domaine Romain Tournier qu’à la société LabelRungis.
Dans ses observations complémentaires relatives à l’absence de respect du règlement intérieur du Marché International de Rungis (lequel énonce des règles relatives à l’utilisation de la dénomination, la marque, le logo ou le sigle « Rungis Marché International »), la Requérante indique que ni Monsieur Tournier ni la société Labelrungis ne pouvaient en ignorer les dispositions et qu’elles leur sont applicables à tous deux. Après demande de clarification du Tribunal auprès des parties, il est apparu que seule la société LabelRungis est tenue par ce règlement.
Dans ces mêmes observations complémentaires la Requérante parle des noms de domaine litigieux comme étant « enregistrés au nom de Monsieur Romain Tournier, « labelrungis.eu » et « label-rungis.eu » et exploités par la société Labelrungis qui exerce une activité de grossiste alimentaire ».
De son côté le Défendeur indique dès l’introduction de sa Réponse que c’est en sa qualité de co-gérant de la société LabelRungis qu’il a réservé les noms de domaine litigieux. Il contribue ainsi à entretenir le quiproquo.
De la même manière son argumentation relative à l’usage des signes composant est menée en s’appuyant sur l’activité de la société LabelRungis et en tenant compte de la clientèle de cette dernière.
Ces allers-retours entre droits tenant à la personne du titulaire et droits tenant à la personne de la société LabelRungis sont fréquents dans la Réponse. Ainsi :
- le titulaire soutient qu’il a « un intérêt légitime à enregistrer les divers noms de domaine contestés dans la présente procédure et à les utiliser aux fins de communiquer sur les activités et les services proposés par la société Labelrungis » ;
- il se prévaut d’une carte d’acheteur professionnel délivrée par le Requérant, dont est en réalité titulaire la société LabelRungis ;
- s’agissant des « produits distribués par la société Labelrungis », dont il affirme qu’ils « sont sélectionnés et achetés au sein du marché d’intérêt national de Rungis », le titulaire en parle comme de « produits que le défendeur propose à sa clientèle ».
Ailleurs dans la réponse le Défendeur écrit : « ni le défendeur, ni la société Labelrungis n’ont jamais prétendu que les produits qu’ils commercialisent » etc.
Plus loin, pour soutenir qu’il est de bonne foi : « Le défendeur en tant que co-gérant de la société Labelrungis, dont le siège social se situe sur la commune de Rungis et dont l’activité consiste en la distribution de produits agroalimentaires acquis en qualité d’acheteur professionnel du marché d’intérêt national de Rungis, a indéniablement enregistré et utilise de bonne foi les noms de domaine concernés par la présente plainte ».
On retrouve cette même porosité entre les faits qui relèvent du titulaire et ceux attribués à l’utilisateur dans les Observations complémentaires soumises par le Défendeur.
C’est en raison de la confusion systématiquement entretenue par les parties, qui évoquent tour à tour Monsieur Tournier et la société LabelRungis, et font régulièrement référence à l’utilisation des noms litigieux par cette dernière, que le Tribunal a soulevé la question préliminaire. La résolution du présent litige nécessite en effet de savoir s’il est juridiquement possible, dans le cadre strict de la procédure extrajudiciaire, de tenir compte de l’utilisation de noms litigieux par un tiers au procès. Les parties ne s’étant pas entendues sur le fait que la société LabelRungis, tierce à la procédure, serait le titulaire effectif des noms de domaine litigieux, le Tribunal n’a pas été en mesure de clarifier ce point (comme cela a pu être fait dans d’autres espèces, V. par exemple ADR.eu 7095 du 20 janvier 2016, HMCLAUSE.EU).
Se posent donc au Tribunal quatre questions alternatives, qui reprennent les cas de figure évoqués et interprétés plus haut :
(1) Monsieur Tournier a-t-il un droit à faire valoir sur les noms de domaine ?
(2) Monsieur Tournier a-t-il un intérêt légitime à faire valoir sur les noms de domaine ?
(3) Monsieur Tournier a-t-il enregistré de mauvaise foi les noms de domaine ?
(4) Monsieur Tournier bénéficie-t-il de l’utilisation intentionnelle des noms de domaine pour attirer, à des fins lucratives, des utilisateurs de l'internet vers son site internet ou un autre espace en ligne qui lui est propre ?
Les trois premières questions peuvent être traitées ensemble.
Il n’est pas sérieusement contesté que M. Tournier est le co-gérant de la SARL LabelRungis (tout au plus la Requérante se limite-t-elle à observer, dans une réponse à une communication atypique du Tribunal et non dans sa Requête initiale ou ses Observations complémentaires, que « le nom de Mr Romain Tournier, Défendeur à la présente procédure ADR, n’apparaît [pas] sur le dossier de demande de carte d’acheteur » que lui avait soumis la société LabelRungis). Celle-ci a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 13 mai 2014 (les statuts ayant été signés par les deux associés fondateurs le 22 avril 2014).
Les noms de domaine litigieux ont été enregistrés le 18 mars 2014, soit environ deux mois avant cette date.
Il n’est pas anormal, et bien au contraire il est même nécessaire d’enregistrer un nom de domaine correspondant à la dénomination d’une société à créer ou en formation afin d’empêcher qu’un tiers bien intentionné ne choisisse ce même nom fortuitement ou qu’un autre mal intentionné ne procède à un acte de cybersquatting (sur ce point, V. par exemple C. Manara, Opérations contractuelles sur noms de domaine, La Semaine Juridique, édition Entreprise et Affaires, n° 16, 18 avril 2002). La fameuse règle du « premier arrivé, premier servi » légitime une telle réservation par précaution.
Ayant enregistré le nom pour la sauvegarde des intérêts de la société LabelRungis, Romain Tournier ne peut être considéré comme dépourvu de droit ou d’intérêt légitime ou comme ayant agi de mauvaise foi. Il n’a pas procédé à un enregistrement abusif ou spéculatif des noms de domaine litigieux au sens du Règlement 874/2004.
Monsieur Tournier bénéficie-t-il de l’utilisation intentionnelle des noms de domaine pour attirer, à des fins lucratives, des utilisateurs de l’internet vers son site internet ou un autre espace en ligne qui lui est propre ?
En d’autres termes, la question se pose de savoir si les conditions de l’article 21.3.d sont remplies. Cet article dispose que la mauvaise foi peut être démontrée quand « le nom de domaine a été utilisé intentionnellement pour attirer, à des fins lucratives, des utilisateurs de l’internet vers le site internet ou un autre espace en ligne du titulaire du nom de domaine, en créant une confusion avec un nom sur lequel un droit est reconnu ou établi par le droit national et/ ou communautaire ou un nom d’organisme public, cette probabilité de confusion concernant la source, le sponsoring, l’affiliation ou l’approbation du site internet ou de l’autre espace en ligne du preneur ou d'un produit ou service qui y est proposé ». On ne peut qu’observer que la portée de cet article est très limitée.
Par une pratique constatée par huissier le 1er septembre 2016 et dont il n’est pas contesté qu’elle subsistait à la date de la soumission de la Requête, « la page accessible à partir des noms de domaine litigieux invite (…) à cliquer sur un lien renvoyant vers une page Facebook ». Cette page, toujours selon la description qu’en fait la Réquérante, « multiplie les reproductions de « Label Rungis » et « marché de Rungis » pour commercialiser des produits alimentaires identiques à ceux visés par les marques du Requérant », ce qui n’est pas disputé par le Défendeur. La Requérante soutient que ce renvoi du nom de domaine vers la page Facebook crée un risque de confusion.
L’article 21.3.d pose diverses conditions cumulatives dont il convient de vérifier si elles sont remplies.
Le nom de domaine a-t-il été utilisé intentionnellement pour attirer des internautes vers un autre site ou espace en ligne ? Oui.
Est-il utilisé pour attirer ces personnes vers ce lieu à des fins lucratives ? Oui.
Le site internet ou l’espace en ligne en question est-il celui du titulaire du nom de domaine ? Non, ressort-il des constats (pièces 38 et 40) et des mises en demeure (pièces 37 et 39).
Cette condition n’étant pas remplie, dans le sens strict du Règlement 874/2004 il n’est pas possible de conclure que les noms LaBELRUNGIS.EU et LABEL-RUNGIS.EU ont été utilisés de mauvaise foi.
Il n’est donc point besoin d’évoquer la première condition de l’article 21 relative à la similitude des signes de la Requérante et du Défendeur. Le Tribunal exprime toutefois des doutes quant à l’existence d’un risque de confusion entre les marques dont se prévaut la Requérante et les noms de domaine objets du litige.
Au surplus, le litige semble de nature commerciale plus que liée au signe lui-même. Nombre des éléments apparus, en particulier dans les observations complémentaires respectives, sortent de la compétence du Tribunal. Ainsi la Requérante reproche au Défendeur des pratiques commerciales déloyales, se prévaut du Code Rural, allègue que l’utilisation des noms est une activité parasitaire, ce qui relève exclusivement de l’appréciation d’une juridiction nationale. Il n’appartient pas au Tribunal de trancher un litige principalement commercial qui échappe à sa compétence (V. ADR.eu n° 6470 du 7 juin 2013, INFOSUP.EU).
Decision
Pour les raisons indiquées ci-dessus, le Tribunal a décidé de rejeter la Requête.
PANELISTS
Name | Dr. Cedric Manara |
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Date de la sentence arbitrale
2016-12-25